Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Mise en scène Richard Brunel – Spectacle créé le 12 novembre 2015 à la Comédie de Valence CDN Drôme-Ardèche.

Roberto Zucco est la dernière pièce écrite par Bernard-Marie Koltès en 1988, un an avant sa mort. Il s’inspire de l’histoire bien réelle d’un jeune meurtrier et d’un fait divers qui s’est déroulé quelques mois auparavant. Au point de départ, placardé dans les lieux publics, un avis de recherche avec photo le fascine. Il se renseigne sur l’histoire de cet adolescent à la beauté troublante et suit sa trajectoire. Son nom est Roberto Succo. A quinze ans il a tué son père et sa mère, sans mobile apparent. Interné, il est ensuite rapidement libéré pour cause de normalité : on ne lui trouve aucun désordre psychologique. Dix ans plus tard l’homme récidive et tue six personnes en quelques jours. Arrêté, il fausse compagnie à ses gardiens de prison en montant sur les toits et passe deux mois en cavale. Repris, il est interné et se suicide.

Koltès s’empare de l’histoire et trace les contours de ce personnage ordinaire qui brûle sa vie de façon extra-ordinaire. « Je trouve que c’est une trajectoire d’un héros antique absolument prodigieuse » dit-il dans un entretien au journal Die Tageszeitung. Au cours de ses cavales  Zucco croise trois femmes : sa mère qu’il vient achever et qui fait un amer constat : « Un train qui a déraillé, on n’essaie pas de le remettre sur ses rails. » La Gamine qui tombe éperdument amoureuse de lui et rompt d’avec sa famille, aussi jusqu’au-boutiste et perdue que lui, elle qui le dénonce : « Il avait un très petit, très joli accent étranger. Je lui ai dit que je garderai ce secret quoi qu’il arrive. Il m’a dit qu’il allait faire des missions en Afrique dans les montagnes là où il y a de la neige tout le temps. Il m’a dit que son nom ressemblait à un nom étranger qui voulait dire doux, ou sucré… » La Dame élégante en quête d’une aventure et dont il tue le fils, presque par erreur : « Vous ne laissez à personne le temps de vous aider. Vous êtes comme un couteau à cran d’arrêt que vous refermez de temps en temps dans votre poche… »

Quand la pièce débute, Zucco est en prison. « A peine emprisonné, il s’échappait des mains de ses gardiens, montait sur le toit de la prison et défiait le monde » raconte Koltés. Et il le suit dans sa cavale. La scénographie offre toutes les lignes de fuite permettant d’apparaître et de disparaître dans des jeux d’ombres et de lumières. Ce sont des passerelles en acier, entremêlées et placées à différentes hauteurs qui deviennent mirador et toit de la prison, qui délimitent le quartier et le no man’s land de rues ténébreuses, qui rejouent la maison de la Gamine. C’est bien vu, beau et efficace et cela crée une unité dans la pièce. Zucco glisse à travers ces zones d’ombre et ses rencontres mais rien n’arrête sa fuite en avant : « Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur… J’ai toujours pensé que la meilleure manière de vivre tranquille était d’être aussi transparent qu’une vitre, comme un caméléon sur la pierre, passer à travers les murs, n’avoir ni couleur ni odeur ; que le regard des gens vous traverse et voie les gens derrière vous, comme si vous n’étiez pas là ; c’est une rude tâche d’être transparent ; c’est un métier ; c’est un ancien, très ancien rêve d’être invisible… »

C’est Peter Stein qui, en 1990 à la Schaubühne de Berlin, signait la création mondiale de la pièce qui pose la question des limites entre la normalité et son contraire, et qui observe le moment de bascule où l’homme perd tout sens des réalités et construit sa propre logique destructrice. Koltès précise bien qu’il ne mène pas d’enquête : « Je ne veux surtout pas en savoir plus » dit-il, mais qu’il suit « une trajectoire d’étoile filante. » Son théâtre est plein d’ambivalence et d’obscurité même s’il précise « Mon rêve absolu est d’écrire des romans. Mon premier livre publié était un roman : La Fuite à cheval très loin dans la ville. » 

Robert Zucco dont le S du véritable personnage devient dans la pièce un Z est ici mis en scène par Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence CDN Drôme-Ardèche depuis six ans, et qui se dédie à la mise en scène de théâtre et d’opéra. A la question que lui pose Marion Canelas : « Qu’est-ce qui distingue Roberto Zucco du reste du monde ? » Il répond : « Il a déraillé. La question est pourquoi… La pièce est une trajectoire sur la tentative de faire coïncider sa réalité avec son identité. » Des destins s’y croisent, le metteur en scène en donne la lisibilité et son anti-héros, Zucco – interprété avec intensité par Pio Marmaï – apparaît et disparaît comme un félin, dans un jeu qu’il mène avec ceux qu’il croise – le vieil homme, le frère et la sœur de la Gamine, sa mère et son père, des gens, les gardiens de prison – jusqu’au geste final, sa mort. Un beau travail porté par l’ensemble de l’équipe.

Brigitte Rémer, 9 février 2016

Avec Axel Bogousslavsky le vieux monsieur – Noémie Develay-Ressiguier la Gamine – Évelyne Didi la mère – Nicolas Hénault un homme – Valérie Larroque une pute – Pio Marmaï Roberto Zucco – Babacar M’Baye Fall gardien et flic – Laurent Meininger le père, un flic – Luce Mouchel la Dame élégante – Tibor Ockenfels une pute, un homme – Lamya Regragui la sœur de la Gamine – Christian Scelles gardien et inspecteur – Samira Sedira la mère de la Gamine – Thibault Vinçon le frère de la Gamine. Dramaturgie Catherine Ailloud-Nicolas  – scénographie Anouk Dell’Aiera  –  lumières Laurent Castaingt –  costumes Benjamin Moreau – son Michaël Selam – coaching vocal Myriam Djemour – conseil acrobatie Thomas Sénécaille – coiffures et maquillages Christelle Paillard – assistante à la mise en scène Louise Vignaud  – Le texte est édité aux Éditions de Minuit.

Du 29 janvier au 20 février 2016 au Théâtre Gérard Philipe-CDN de Saint-Denis, 59 Boulevard Jules-Guesde. Métro : Saint-Denis Basilique. www.theatregerardphilipe.com. Tél. : 01 48 13 70 00 – En tournée : 2 au 4 mars Théâtre de Caen – 10 au 12 mars CDN Orléans/Loiret/Centre – 17 et 18 mars Comédie de Clermont-Ferrand.